I contributi dei visitatori Enrico Minardi - La conception de la langue poétique chez Pasolini Troisième chapitre Pour une linguistique «sensuelle»
L’activité littéraire de Pasolini sera dorénavant axée sur ces principes philosophiques. Si on analyse maintenant l’essai, paru en avril 1946 sur le deuxième Stroligut, "Volontà poetica ed Evoluzione della lingua", on se rend vite compte qu’il constitue une espèce de récapitulation claire et complète de la réflexion que Pasolini accomplit sur le langage poétique dans la période incluse entre la composition de Poesie a Casarsa et la rédaction de son mémoire de maîtrise et des autres articles écrits entre 1945 et les premiers mois du 1946. Il me semble pourtant que l’importance de cet article est dûe aussi à la conception, que Pasolini développe ici pour la première fois, de la crise d’une langue comme carence sémantique et expressive et, plus généralement, crise et corruption d’une civilisation. Les notions de crise et de palingénésie occupent une place cruciale au sein de la réflexion poétique du XIXème siècle, mais elle accompagne également le questionnement auquel Giambattista Vico soumet le langage pendant la première moitié du XVIIIème siècle. Ce concept suppose une polémique vis-à-vis de l’époque présente, dont l’état de corruption morale et de régression civique est dénoncé en ce qui concerne son reflet sur la langue, qui, dès lors, voit disparaître au fur et à mesure sa puissance symbolique. De ce fait, on impute cette situation négative au passé et à la tradition, où se trouveraient les germes de la crise, et dont on soutient enfin la nécessité d’un renouvellement radical, voire de sa palingénésie. On a déjà vu, à cet égard, que Vico fonde sa philosophie du langage, d’un côté, sur la reconstitution de ce processus involutif de la langue et de la civilisation, et, de l’autre, sur l’hypothèse d’un nouveau commencement de la civilisation et de la langue humaine qu’est censée susciter l’appréhension des origines fantastiques et "sauvages" du langage. De la même manière, Rimbaud avait fondé sa révolution linguistique sur une condamnation sans appel de la tradition littéraire précédente. Pour mieux comprendre cette relation dialectique entre crise et renouvellement de la langue, il suffit de faire allusion à la réflexion linguistique de Giacomo Leopardi, et à la célèbre distinction antinomique qu’il établit entre parole et termini, ainsi qu’elle est exposée dans son Zibaldone di pensieri. Leopardi se sert de ces deux termes pour faire allusion à deux modèles tout à fait différents de la langue. Tandis que Leopardi cherche à renvoyer à une langue naturellement douée de force imaginative et poétique grâce à la richesse et à l’indétermination sémantique de la Parole; avec les termini il se réfère par contre à une langue dont l’intériorisation de principes rationnels, tels que la rigueur sémantique, l’universalité, l’uniformité, la conformation géométrique de sa structure etc., a conduit à la perte de ces qualités (imaginatives et poétiques). Alors que le premier modèle de la langue est temporellement situé, selon l’enseignement de Giambattista Vico, dans le passé ou bien s’identifie avec ces langues qui dans leur évolution ont gardé des contacts avec celles du passé (naît ainsi le double pôle formé par le grec ancien et l’italien). Le deuxième se compose en revanche de ces langues qui ont surtout été façonnées par l’action du progrès scientifique, et qui sont donc marquées par les caractères spécifiques de la modernité, comme le français. Dès lors, le combat de Leopardi pour le renouvellement de la littérature à travers celui de la langue, dépend également du renouvellement de l’humanité, étant donné que la réflexion sur la poésie se montre capable d’interpréter avec force et pénétration le sens de l’histoire de l’homme (1).
"Qua Giordano parla per volgare, nomina liberamente, dona il proprio nome a chi la natura dona il proprio essere; non dice vergognoso quel che fa degno la natura; non cuopre quel ch’elle mostra aperto; chiama il pane, pane; il vino, vino; il capo, capo; il piede, piede […]." (2)De vingt-quatre ans cadet de Pasolini, un autre poète avait commencé à faire parler de lui dans les années trente, en adoptant des positions théoriques sur la langue - surtout sur la décadence de la langue italienne par rapport à la santé des dialectes – qui paraissent être très proches de celles de Pasolini, bien que leurs positions de départ ne coïncident pas. Il s’agit de Giacomo Noventa, qui avait fondé en 1936 à Florence la revue La Riforma Letteraria – à laquelle un ordre du fascisme mettra fin en 1939 – où il avait publié, parmi d’autres, les essais "Principio di una scienza nuova" et "Manifesti del classicismo". Dans ses écrits il expliquait et défendait ses positions théoriques sur la poésie, qui consistaient spécialement en une polémique contre l’idéalisme de Croce et de Gentile et contre la poésie des hermétiques. Dans les pages de La Riforma Letteraria, il avait aussi publié plusieurs poèmes (3). Or, Noventa soutient que la langue de la tradition poétique majeure a été vidée de ses facultés poétiques, et qu’elle est devenue une langue muette qui n’est plus à même d’exprimer les valeurs élevées qui ont caractérisé la poésie de tous les temps. Cette langue ne constitue plus le registre expressif qui permet de chanter ces valeurs de manière adéquate, elle ne peut les chanter que de manière conventionnelle et banale. C’est le dialecte qui, par contre peut aujourd’hui permettre au poète de récupérer l’ancienne "aura" perdue et cela grâce à son registre mineur et quotidien. Selon Noventa, la langue traditionnelle se place en effet au sein d’un registre qui n’est pas celui de l’immanence – lequel est propre à Pasolini aussi -, mais de la transcendance, c’est-à-dire d’une cristallisation rhétorique et conventionnelle. Le dialecte donne par contre au poète l’instrument linguistique apte à réintégrer au centre de l’expression poétique l’homme et toute la réalité dramatique de sa vie et de son questionnement éthique. Mais, comme chez Pasolini, le dialecte est ici implicitement évalué tel qu’une langue. Il perd donc l’infériorité socioculturelle de langue utilisée par des classes populaires afin d’exprimer des exigences presque exclusivement matérielles. Il assume, au contraire, une espèce de supériorité par rapport à la langue nationale grâce à la conservation de qualités que la langue, entraînée dans un procès fatal de corruption, a perdu tout au long de son histoire. De ces positions théorique découle la polémique de Noventa vis-à-vis de l’hermétisme, dont l’emblème est sans doute le poème Fusse un poeta: Il est évident que, même si leurs conclusions sont les mêmes, Pasolini et Noventa partent de deux présupposés tout à fait différents. Le premier pense que la poésie contemporaine ne peut être que "mineure", d’après l’exemple de Pascoli. Le deuxième croit, par contre, à la possibilité de sa rénovation dans un sens classique et "majeur", qui la soulève de la décadence de l’époque. Dans tous les cas, les deux sont également convaincus de la force expressive du dialecte et de sa capacité à rénover radicalement la poésie italienne.Fusse un poeta… Ces trois derniers exemples montrent bien que Pasolini hérite ce concept de crise linguistique d’une tradition qui remonte au moins à la Renaissance italienne. Il constitue sans aucun doute un élément indispensable pour que sa réflexion sur la langue soit réellement fondée et puisse, de ce fait, devenir un facteur d’impulsion sur le plan de sa création littéraire.
L’essai " Volontà poetica ed evoluzione della lingua " représente donc une sorte de compendium synoptique définitif des principes méta-poétiques élaborés par Pasolini pendant les années quarante. Ces principes vont dès maintenant orienter et guider son activité littéraire jusqu’à ce qu’ils soient intégrés, entre les années quarante et cinquante, dans le cadre plus complexe de l’idéologie de Gramsci. En les résumant ici rapidement, il s’agit donc de: 1) la crise des langues majeures, engendrée par une prise de conscience qui les a privées de toute qualités expressives, ne peuvent plus efficacement exercer en tant que telles une fonction poétique:L’importance de cet écrit est d’ailleurs indirectement mise en évidence par la réimpression, dans les pages du Stroligut, de l’article de Gianfranco Contini sur Poesie a Casarsa, situé juste avant " Volontà poetica ed evoluzione della lingua ". Ce rapprochement est établi afin que résultent"Non corrotto da una coscienza poetica, che, come l’uso fa per la fonetica, consuma il senso riposto di una lingua, facendola evolvere fino a crisi estreme ("je ne sais plus parler", A. Rimbaud), questo friulano serba quella vecchia salute di volgare appena venuto alla luce."2) La nécessité qu’elles soient alors régénérées par le concours de nouvelles langues encore riches d’une force expressive intacte et naturelle. Le dialecte frioulan de Casarsa est un spécimen de ces langues en raison de sa physionomie linguistique:"Per me [il friulano] era semplicemente una lingua antichissima eppure del tutto vergine, dove parole, pur comuni, come "còur", "fueja", "blanc", sapevano suggerire le immagini originarie. Una specie di dialetto greco o di volgare appena svincolato dal preromanzo con tutta l’innocenza dei primi testi in lingua."3) La revendication de cette nouvelle production littéraire dialectale comme post-symboliste. Ceci implique le renouvellement radical de la littérature dialectale plus en général, ainsi que Contini l’avait déjà pressenti en 1943:"Davanti a simili suggestioni, così poetiche, ben misera mi doveva parere l’ambizione di documentare lo stato attuale del casarsese ed il suo spirito particolare con i suoi modi di dire, il suo lessico. Era stato un ben strano tramutarsi della lingua in linguaggio, senza sforzo, se non tutto anteriore, se non tutto scontato in ricerche stilistiche d’italiano, e in una lungua tensione estetica. Così la lingua stessa, la pura parlata dei Casarsesi, poté divenire linguaggio poetico senza tempo, senza luogo, tramutarsi in un vocabolario senza pregiudizi, e pieno invece di dolci violenze estetiche, giustificate da un clima poetico diffuso in tutta l’Italia, o meglio, in tutta l’Europa." (5) "meglio in evidenza, quasi per contrasto, le novità estetiche e poetiche sopraggiunte in quel triennio." (6)Le rapprochement de deux essais cherche à montrer, en d’autres termes, la maturation de la conscience de Pasolini de la poésie pendant un laps de temps, dont les deux textes représentent comme les extrémités symboliques (7). _________________ NOTE (1) Cf. S. GENSINI, « La distinzione "parole/termini" e la sostanza immaginativo-metaforica delle lingue », in idem, Linguistica leopardiana, cit., p. 103-124. © 2002-2003 - Tutti i diritti riservati |
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