I contributi dei visitatori Enrico Minardi - La conception de la langue po?tique chez Pasolini Troisi?me chapitre Pour une linguistique ?sensuelle?
? partir de la perspective th?orique que j?ai essay?e de d?crire dans la partie pr?c?dente, il est clair qu?? cette ?poque le dialecte est d?sormais devenu pour Pasolini un moyen d?expression po?tique fixe et stable. Le dialecte est, en vertu de ses qualit?s m?ta-linguistiques, le seul instrument qui permet ? Pasolini d?affirmer son originalit? au sein du panorama po?tique de son temps. Le travail critique qu?il accomplit, au lendemain de la parution des Poesie a Casarsa en 1942, sur les pages du Stroligut, visera surtout ? l??claircissement de sa po?tique des ann?es frioulanes. C?est pourtant lors de ce travail, que le champ du questionnement pasolinien est oblig? de s??largir au-del? de la simple probl?matique litt?raire. L?emploi po?tique du dialecte de Casarsa, implique en effet que Pasolini entre en rapport avec les gens qui le parlent. ? savoir, un pur instrument litt?raire, librement utilisable par le jeune ?crivain selon ses intentions cr?atives, devient aussi l?instrument lui permettant de se rallier ? la communaut? humaine qui utilise ce dialecte comme son propre moyen d?expression orale. Quand il choisit d?utiliser le dialecte, Pasolini se trouve donc confront? ? deux genres de probl?mes, le premier ?tant de l?ordre de l?expression po?tique, tandis que le deuxi?me concerne plut?t la r?alit? socioculturelle de la langue parl?e. Le premier na?t de l?exigence d?imposer le dialecte comme langue litt?raire ; le second, par contre, r?pond ? son besoin de l?imposer en tant que langue ? proprement parler. Mais il s?agit de deux probl?matiques qui coexistent n?anmoins dans sa conscience, comme si elles ?taient ? ses yeux imbriqu?es.
? travers mon analyse des articles th?orique de Pasolini publi?s dans le Stroligut, je voudrais montrer l??volution de la r?flexion m?ta-linguistique que celui-ci entreprend ? partir d?une phase dans laquelle les probl?mes qu?il entend r?soudre sont de nature purement litt?raire, pour atteindre une deuxi?me phase o? par contre ? comme je l?ai soulign? plus haut ? il devient de plus en plus conscient des implications civiles et politiques pr?sentes dans ce genre de questionnement. La premi?re phase correspond plus ou moins ? celle de la composition des Poesie a Casarsa (1941-42) et ? la r?daction de son m?moire de ma?trise sur Pascoli (1944-1945) ; la deuxi?me phase s??tend ? peu pr?s de la premi?re moiti? de 1944 ? 1947 et couvre la p?riode de publication des revues frioulanes. Ces phases se superposent dans le temps et par cons?quent la fa?on dont elles se succ?dent n?appara?t pas clairement. Il n?est de m?me pas facile de distinguer de mani?re pr?cise leur division en p?riode. Pasolini ouvre le premier num?ro du Strolig?t di c? da l?aga en introduisant " Dialet, lenga e stil ", un texte con?u comme un manifeste de sa conception civile et litt?raire de la langue. Pasolini soutient ici que si un dialecte atteint le niveau d?une langue litt?raire (ce qui avait ?t? la th?se "officialis?e" par Contini dans son article sur les Poesie a Casarsa, alors qu?il traitait du dialecte frioulan de Casarsa), il acquiert imm?diatement les droits d??tre reconnu en tant que v?ritable langue, bien que son extension ne soit que r?gionale. Cette reconnaissance implique, ? la fois, le changement du statut politique de la population qui la parle, dans le sens que l??l?vation d?un dialecte ? un statut de langue litt?raire entra?ne aussi un ?largissement des droits politiques, notamment sur le plan de l?autod?termination et de l?autonomie. Les identit?s linguistiques et politiques d?un peuple sont, pour Pasolini, compl?mentaires. Elles sont comme les deux faces d?une m?me m?daille. Il est ?vident que cette th?matique descend directement du grand questionnement risorgimentale sur le probl?me de l?unit? du peuple italien en vertu de son unit? linguistique et territoriale, et qu?il en repr?sente d?ailleurs une sorte de variation locale, dialectale. Mais je reviendrai plus tard sur la relation entre cet aspect de la r?flexion de Pasolini sur la langue et la tradition culturelle du Risorgimento italien. Le texte " Dialet, lenga e stil " est, comme je l?ai mentionn? plus haut, ?crit en dialecte du Frioul, selon la po?tique r?gional des fondateurs du Stroligut. C?est pourquoi j?ai choisi d?en pr?senter un extrait traduit par F. Ferri: "[? ] il dialetto ? la pi? umile e comune maniera di esprimersi ; ? solo parlato, nessuno pensa mai di scriverlo. Ma se a qualcuno venisse questa idea ? Voglio dire l?idea di adoperare il dialetto per esprimere i suoi sentimenti, le sue passioni ? [? ] se qualcuno, insomma, credesse di esprimersi meglio con il dialetto della sua terra, pi? nuovo, pi? fresco, pi? forte che non con la lingua nazionale imparata sui libri ? Se a qualcuno viene questa idea, ? bene realizzarla, e altri che parlano quello stesso dialetto, lo seguano e lo imitino, cos? un po? alla volta, si accumula una buona quantit? di materiale scritto, e allora quel dialetto diventa 'lingua'".? (6)On retrouve dans ce texte le noyau de la th?orie de la langue, formul?e par Pasolini ? cette ?poque : le frioulan (mais on peut bien imaginer que cette analyse est valable pour tous les dialectes qui se trouvent dans ces m?mes conditions), n?ayant exist? jusqu?? ce moment-l? qu?? un niveau oral, est cependant riche des qualit?s expressives, qui sont justement celles des langues vivantes, c?est-?-dire de ces langues utilis?es au quotidien par toute une population. Ces qualit?s peuvent donc amener un ?crivain ? pr?f?rer le dialecte ? la langue nationale. Celle-ci, apprise d?une fa?on abstraite dogmatique et us?e par une tradition s?culaire, semble en effet, aux yeux du jeune po?te, d?munie de la richesse et de l?exub?rance du frioulan. Celui-ci peut donc devenir une v?ritable langue, ? condition qu?il y ait suffisamment d??crivains qui l?adoptent pour s?exprimer et que le niveau litt?raire de leur production soit plus ?lev? que la moyenne de la litt?rature r?gionale. Parmi ses caract?ristiques phon?tiques, analys?es par G. I. Ascoli dans les "Saggi ladini" (7) en 1873, on peut tout particuli?rement compter sa non-appartenance aux dialectes italiens et sa tendance ? la conservation des formes les plus anciennes et les plus similaires de celles des langues romanes d?origine, dont il d?coule (8). D?apr?s Pasolini, ces caract?ristiques ne peuvent que faciliter le proc?s de son ?mancipation linguistique. Le probl?me de "Dialet, lenga e stil" est donc d?un ordre m?thodologique. Gr?ce ? celui-ci, Pasolini exprime une exigence de fondation : il s?interroge sur les mani?res existantes afin d??lever son dialecte au niveau d?une langue autonome. Il n?a pas de doutes ? ce sujet : ce r?sultat ne pourra ?tre obtenu que par l?interm?diaire d?une haute tradition litt?raire ?crite, ce dont le frioulan n?a jamais b?n?fici?. Il imagine alors que les cahiers du Stroligut pourront contribuer ? cette entreprise, dont ses Poesie a Casarsa ont pos?, d?une fa?on peut-?tre encore inconsciente, le premier jalon: "Quanto al nostro dialetto, fra i dialetti d?Italia, il friulano ha una fisionomia sua ben distinta, per certi caratteri e certe forme antiche che esso conserva e che non lo lasciano confondere con nessun altro. Stando agli studiosi, il friulano fa parte dei dialetti ' ladini' , parola che vale a dire ' latini' [? ]. Questa particolarit? e tante altre hanno convinto gli studiosi a considerare il Friulano come un dialetto non italiano, ma a s? stante. Purtroppo per? il Friuli, per tante ragioni, non ha avuto in nessun tempo un grande poeta che cantasse nella sua lingua dandole splendore e rinomanza [? ]. Con questo io non voglio dire che il Friulano non sia mai stato scritto, che non abbia mai avuto un poeta ; molti ne ha avuti, ma quasi tutti poetastri, con poca ambizione, poca fantasia, che non andavano pi? in l? di qualche poesiola sentimentale [? ]." (9)Le troisi?me Stroligut, publi? en ao?t 1945, accueille l??crit qui annonce la fondation de l?Academiuta de lenga furlana, cr??e le 18 f?vrier 1945 par Pasolini et par les autres r?dacteurs. Dans cet ?crit collectif (marqu? par le r?le pr?pond?rant de Pasolini dans sa composition), les auteurs explicitent davantage l?implication litt?raire anti-traditionnelle des argumentations que sucite cet ?crit. Le texte est r?dig? en italien, ce qui est un signe manifeste de l?intention de Pasolini de s?adresser ?galement ? un public extra-r?gional. L?argumentation est beaucoup plus rigoureuse et d?taill?e par rapport ? " Dialet, lenga e stil ", qui quant ? lui est ax? sur le d?sir de se faire comprendre par la communaut? des parlants et caract?ris? par une intonation p?dagogique tr?s forte, comme on l?a vu sp?cialement dans le passage o? Pasolini paraphrase les th?ories d?Ascoli. Cette fois, Pasolini souligne davantage, par exemple, l?importance de la morphologie romanza tout ? fait particuli?re au frioulan, en tant que signe ?vident de son autonomie linguistique et politique in nuce.
Selon le philosophe napolitain, on ne peut en effet concevoir les premi?res sans avoir recours ? la seconde, qui, d?apr?s une telle d?marche dialectique, constitue donc le facteur n?cessaire ? l?existence de tout autre organisme linguistique et litt?raire (10). La litt?rature frioulane est par contre caract?ris?e, d?apr?s Pasolini, d?une mani?re autonome car ses origines se situent directement au sein du grand foyer roman, d?o? d?coulent les traditions culturelles europ?ennes les plus importantes : telles que les traditions fran?aise, italienne, proven?ale, etc. Son autonomie, par cons?quent, renforce et permet ? son identit? de s?affirmer sur un plan extra-r?gional. Elle lui permet aussi de s?approprier de plein droit des grandes th?matiques litt?raires propres au symbolisme et ? la po?sie contemporaine. Il est ?vident que, sur le plan strictement linguistique, Pasolini ne peut arriver ? des conclusions si hardies qu?en se fondant sur les ?tudes d?Ascoli. Ce sont celles-ci qui donnent en effet au jeune po?te l?assise scientifique n?cessaire pour formuler son projet d?autonomie ? la fois litt?raire et civile du Frioul. Pasolini affirme ? cet ?gard dans son essai: "Il Friuli si unisce [? ] alla Provenza, alla Catalogna, ai Grigioni, alla Rumenia, e a tutte le altre piccole patrie di lingua romanza. [? ] La nostra lingua poetica ? il Friulano occidentale, finora unicamente parlato [? ]. Nel nostro friulano noi troviamo una vivezza, e una nudit?, e una cristianit? che possono riscattarlo dalla sua sconfortante preistoria poetica. Alle nostre fantasie letterarie ? tuttavia necessaria una tradizione non unicamente orale. E questa non potr? essere la tradizione friulana, che, se ha qualche discreto poeta, ? poi tutta vernacola, soprattutto nell?ottocento con la borghese " muse matarane" di Zorut. La nostra vera tradizione, dunque, andremo a cercarla l? dove la storia sconsolante del Friuli l?ha disseccata, cio? il trecento. Quivi troveremo poco friulano, ma tutta una tradizione romanza, donde doveva nascere quella friulana, e che invece ? rimasta sterile. Infine, la tradizione che naturalmente dovremo proseguire si trova nell?odierna letteratura francese ed italiana, che pare giunta ad un punto di estrema consumazione di quelle lingue ; mentre la nostra pu? ancora contare su tutta la sua rustica e cristiana purezza." (11)C?est aux difficult?s de l?identit? socioculturelle et politique d?un peuple, impliqu?e dans sa langue, que Pasolini commence donc ? s?int?resser dans les textes que je viens de citer. Mais c?est ?galement une question d?ordre philosophique sur la nature ontologiquement po?tique du dialecte qui lie les deux essais. Dans son premier manifeste, la citation de Shelley qui suit et qui est tir?e de Defense of poetry, plac?e en exergue, le conduisait ? soulever indirectement cette question d?ordre philosophique: "Nell?infanzia? della? societ? ogni? autore? ? necessariamente? un? poeta,? perch? il? linguaggio stesso ? poesia." (12)Par cette citation, Pasolini confirme ce que je disais plus haut sur la relation ?troite qui lie le dialecte et la r?alit? au sein de la langue po?tique. Il fait aussi implicitement r?f?rence au mythe de Vico sur la naissance du langage en tant que cr?ation de po?sie et de r?alit? en m?me temps. De plus, parler d? " infanzia della societ? " renvoie ? une vision anthropologique autre du peuple, c?est-?-dire des dialectophones et de leur culture. Cette image renvoie exactement ? celle de l?enfant comme po?te naturel de Pascoli, image reprise d?ailleurs par Shelley quand il affirme que "Il selvaggio ? ai secoli ci? che il fanciullo agli anni" (13). Il est clair que toutes ces images trouvent leur origine premi?re dans la philosophie de Vico. Dans le deuxi?me ?crit, Pasolini aborde la m?me probl?matique de fa?on plus directe, lorsqu?il affirme sans h?siter la supr?matie po?tique de la langue frioulane sur l?italien et le fran?ais. Ces langues ne sont plus ? ses yeux pourvues de force expressive, alors que le frioulan "pu? ancora contare su tutta la sua rustica e cristiana purezza." ![]() Mais pourquoi les "naturelles" facult?s po?tiques des langues majeures ont-elles disparues? Pasolini pose ici une question d?ordre philosophique sur la nature ontologiquement po?tique des langues, c?est-?-dire sur leur puissance ?vocatrice et sur leur force de suggestion, sur leur capacit? naturelle ? d?gager un halo po?tique. Une fois ?tabli que la po?sie est, en tout cas, le produit direct de la langue, il reste en effet ? Pasolini ? r?soudre le probl?me li? ? la sp?cificit? d?une "langue pour la po?sie", tout en sachant que son point de d?part consiste dans le partage des langues en artificielles et naturelles. Ce partage correspond, de toute ?vidence, ? la distinction entre non po?tique et po?tique. Or, on pourrait entendre dans la pol?mique de Pasolini vis-?-vis des langues majeures un ?cho de la pol?mique entre classicisme et romantisme, ? laquelle j?ai fait r?f?rence dans le deuxi?me chapitre. On pourrait aussi voir pr?figur?r quelques-unes des r?flexions de Gramsci sur le caract?re non nazional-popolarede la litt?rature italienne. Ce qui est, en tout cas, clair, c?est qu?ici Pasolini reprend sans aucun doute des th?mes propres ? la "questione della lingua . NOTE (1)? N. NALDINI, ? L?academiuta di lenga furlana e le sue riviste ?, cit., p. 24. ? 2002-2003 - Tutti i diritti riservati |
![]() |
|
|