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Raja El Fani - Le cin?ma antique de Pasolini et Fellini: ?Œdipe roi, M?d?e et Satyricon

I - LES CORPS ET LEURS RELATIONS

A - La valeur corporelle du protagoniste

1) L?’enfant ?Œdipe et l?’enfant Jason

Locandina di 'Edipo re'. Vi appare Edipo bambino, appeso e legato a un palo, portato a spalle da un servitore di Laio.A premi?re vue, les qu?tes d?’?Œdipe et de Jason ne sont pas comparables : l?’un est ? la recherche de sa v?ritable identit?, chez l?’autre la recherche " [? ] ? esclusivamente intenta al successo " (1), comme le dit Pasolini. Cependant, Pasolini s?’est tr?s probablement inspir? de l?’errance de son ?Œdipe pour faire de Jason, selon l?’expression formul?e par Jean Duflot dans le volume Entretiens avec P. P. Pasolini, " una sorta di funzionario dell?’avventura " (2). Bien que les deux films pr?sentent quelques similitudes, Jason n?’est pas l?’aboutissement du personnage ?Œdipe, ni sa r?plique : il n?’y a pas un h?ros pasolinien type. Chaque protagoniste est l?’ersatz d?’une nouvelle r?flexion.

?Œdipe roi et M?d?e ont chacun un prologue int?ressant au niveau de la forme, Pasolini a ?t? extr?mement vigilant quant ? la narration du d?but de ces deux films qui met l?’enfant-protagoniste au centre de l?’attention. Que Pasolini ait choisi de remonter ? l?’enfance des protagonistes, alors que les trag?dies de Sophocle et d?’Euripide dont il s?’inspire n?’en d?crivent pas l?’histoire (3), n?’est pas seulement une pr?cision dont ses deux films auraient pu se passer mais bel et bien le fruit d?’une r?flexion qui convient ? une adaptation d?’embl?e parfaitement pasolinienne. L?’ensemble d?’images dont la premi?re s?quence est compos?e, plac? n?cessairement l? plut?t qu?’? un autre moment du film, comporte ? plus forte raison le sceau de Pasolini.

Pasolini choisit en somme de rappeler l?’origine des protagonistes ?Œdipe et Jason - plus longuement dans ?Œdipe roi du fait que le prologue soit d?doubl? : p?riode moderne et p?riode antique ?– ce pourquoi les deux films antiques de Pasolini pourraient en premier lieu se faire ?cho. Toutefois, et c?’est un d?tail assez perceptible dans le montage, la description de l?’enfance d?’?Œdipe et de Jason comme une p?riode ? part enti?re, a conduit Pasolini ? effectuer un choix d?terminant pour l?’enjeu de chaque film.

Dans ?Œdipe tout d?’abord, la partie moderne qui ouvre le film avec une naissance ne suffit pas ? contenir toute l?’histoire du petit ?Œdipe ; l?’enfance d?’?Œdipe est racont?e en deux temps, ? deux ?poques diff?rentes et l? est toute l?’anticipation du drame. Certes le prologue comporte plusieurs d?tails clairement autobiographiques ce qui pourrait nous faire supposer que l?’enfant du prologue n?’est pas l?’?Œdipe du d?but de la partie antique (4), mais l?’encha?nement des deux parties est suffisamment fluide pour ?carter cette th?se. Ce qui nous importe ici est de mesurer l?’envergure de la partie sur l?’enfance et le nombre d?’?pisodes qui la ponctuent : c?’est une partie qui a un tra?tement filmique ind?pendant. Le fait que cette " p?riode " (narrativement parlant) soit d?doubl?e est le signe d?’une audace que Pasolini ne s?’autorise que parce qu?’il sait la contr?ler.

On pourrait croire, avec cette longue introduction dans ?Œdipe, que Pasolini (qui en choisissant l?’?Œdipe comme base pour le r?cit de sa propre identit? est oblig? d?’assumer tout le bagage freudien) ait voulu d?placer librement l?’int?r?t de la trag?die sophocl?enne sur l?’enfance du protagoniste. C?’est l? aussi un moyen pour Pasolini de montrer qu?’il ne fait pas une trag?die mais cr?e une histoire qui se d?double comme si ce devait ?tre n?cessaire pour mieux racconter, comme le dit Pasolini lui-m?me dans une interview d?’Oswald Stack, " la storia del mio complesso di Edipo." (5).

Le basculement temporel a lieu pendant la tendre enfance de l?’?Œdipe moderne, lorsque le p?re officier irrit? saisit les pieds du nouveau-n?, et c?’est attach? au bout d?’une lance qu?’on le retrouve dans l?’Antiquit?. C?’est dans ce point de jonction entre la partie moderne et antique o? le spectateur est projet? hors du temps ou dans le temps du mythe que la grande s?quence de l?’enfance culmine avec le corps de l?’enfant comme pivot temporel et narratif.

Dans ?Œdipe roi on insiste sur l?’enfance et on s?’y attarde, les sc?nes qui s?’y d?roulent sont toutes fondamentales. Dans M?d?e la longue description de l?’enfance de Jason semble occulter, voire annuler celle de M?d?e puisque l?’h?ro?ne appara?t d?’embl?e comme une pr?tresse muni de pouvoirs. L?’enfance de Jason devrait pr?c?der en parall?le la description de l?’enfance de M?d?e qui ne figure pas dans le film et dont l?’absence justement r?v?le ou justifie, pour ce film, une priorit? : Jason plut?t que M?d?e, Pasolini est clair.

Jason ne repr?sente pas pour autant l?’id?ologie pasolinienne (6), mais son corps y correspond parfaitement.

La premi?re partie de M?d?e comporte l?’enfance de Jason et les rituels en Colchide, mais le d?but du film devait ?tre exclusif et Pasolini a d? choisir de d?crire une seule enfance. Les protagonistes sont deux certes mais tr?s vite on est amen? ? constater que l?’un d?pend de l?’autre: M?d?e ne subira un changement qu?’? partir de sa rencontre avec Jason - m?me si on ne lui conna?tra pas de v?ritable ?volution. M?d?e restera toujours distante et myst?rieuse jusqu?’? la fin du film. En choisissant de d?crire l?’enfance insolite de Jason (?duqu? par un centaure), Pasolini ne s?’en remet gu?re au hasard ; au contraire: non seulement cela permet tr?s t?t de faire le point sur un personnage versatile, mais en plus cette partie sert d?’ellipse pour introduire de facto le monde fig? de la soci?t? colchidienne et M?d?e.

En confrontant ainsi sommairement ?Œdipe roi et M?d?e, on retient que la premi?re partie de ces deux films n?’est pas d?di?e ? l?’enfance par soucis chronologique mais comporte une narration ing?nieuse qui recentre les films sur la mythologie avant la trag?die en jouant sur le pouvoir intrigant d?’un rythme tout ? fait particulier. Il ne s?’agit pas de d?crire simplement l?’enfance des protagonistes, mais d?’amener le spectateur, avec le corps de l?’enfant et les situations qu?’il entra?ne, ? p?n?trer progressivement dans le mythe. En faisant co?ncider d?but du film et enfance du protagoniste, Pasolini r?ussit et favorise le premier contact avec le mythe.

Pasolini, on l?’aura compris gr?ce ? une premi?re comparaison entre ?Œdipe et M?d?e et aux deux diff?rentes fa?ons d?’aborder l?’enfance, attache beaucoup plus d?’importance ? la mise en sc?ne et ? la cr?ation de situations autour de la figure de l?’enfant qu?’aux nombreuses r?f?rences symbologiques (7) que le moindre positionnement de l?’enfant est susceptible de rappeler. C?’est pourquoi Pasolini se sert d?’une th?matique bien pr?cise pour ne pas perdre le fil directeur du film : l?’abandon dans ?Œdipe roi et l?’?ducation rationnelle dans M?d?e.

L?’enfant-protagoniste, ?Œdipe ou Jason selon le film, n?’occupe pas vraiment le devant de la sc?ne dans l?’?pisode en question ; on remarque que Pasolini s?’attache ? instaurer une certaine " vitalit? narrative " comme si le corps de l?’enfant dont la pr?sence dans l?’image n?’est pas effective aurait eu besoin d?’un " renfort " au niveau de l?’action. Pasolini a en quelque sorte ressenti cette n?cessit?, m?me s?’il ne refuse pas de rendre le regard de l?’enfance (dans ?Œdipe roi ?– on verra plus tard pourquoi c?’est important ?– la reproduction de la vision parcellaire du nouveau-n? pendant l?’allaitement, et dans M?d?e la vision apparemment imaginaire, qui va en s?’estompant, du Centaure qui ? la fin de l?’?pisode n?’est plus qu?’un homme), et toute la cr?ativit? de la premi?re partie des deux films va d?pendre du fait que le protagoniste ait le corps d?’un enfant.

Dans la premi?re s?quence de la partie antique d?’?Œdipe roi la mise en sc?ne se joue enti?rement sur la circulation. Cependant le prologue qui nous montre le retour d?’une jeune m?re avec son fils dans la propri?t? de son mari officier dans les ann?es 1920 contient un passage qui anticipe ce th?me: il s?’agit de la s?quence du pr? o? la m?re se retrouve avec des amies. Lorsque l?’enfant est laiss? sur l?’herbe, un rapide panoramique circulaire sur les peupliers semble souligner une impression de vertige qui peut d?s lors ?tre reli?e au rythme de l?’?pisode successif (partie antique). D?’ailleurs d?’autres plans de la m?me s?quence ?galement d?di?s ? un mouvement semblent ?tre engendr?s par l?’enfant : les plans rapproch?s sur les jambes des jeunes femmes en fuite, alors occup?es ? jouer. Toute l?’astuce de Pasolini est de s?’?tre appliqu? ? marquer de la sorte les moments o? l?’enfant n?’?tait pas dans les bras de la m?re.

Juste apr?s le prologue moderne d?’?Œdipe roi, commence la partie antique du film : la cam?ra suivra syst?matiquement le personnage qui transporte le nouveau-n?. Le petit ?Œdipe est transport? par un serviteur de La?os pour ?tre tu? par celui-ci sur un mont d?sert, le Cyth?ron. On est tr?s vite amen? ? comprendre que le meurtre n?’aura pas lieu. Avant m?me le plan de dos en demi-figure du geste homicide, juste apr?s un gros plan du serviteur, l?’arriv?e du berger est film?e en cam?ra ? l?’?paule, et donc avec une subjectivit? qui le pr?sente d?’embl?e comme celui qui devra recueillir l?’enfant. Le serviteur dresse sa lance f?rocement pour s?’enfuir presque aussit?t. Les deux hommes se croisent et se regardent : le serviteur a ralenti sa course, la perspective du meurtre d?sormais ?cart?e ; le berger h?site puis se pr?cipite pour secourir l?’enfant.

Dans cet intervalle, cette br?ve rencontre meubl?e des hurlements persistants de l?’enfant, les deux hommes se scrutent. C?’est par ces regards (chez l?’un rassur?s, chez l?’autre interrogateurs) que s?’instaure entre eux une entente tacite sur l?’?change de l?’enfant. Comme on aura plus tard ? le remarquer dans la sc?ne r?unificatrice pour l?’aveu final, les deux hommes sont " coupl?s en chiasme " (8), note H. Joubert-Laurencin.

L?’?change de l?’enfant, qui peut ?tre ?galement vu comme un relais, en fait un objet ballot?, pass? de bras en bras, dans une sorte de course pour sa survie : l?’enfant est tour ? tour condamn? puis ?pargn?, abandonn? puis recueilli. L?’encha?nement des actions, ou du point de vue de l?’enfant de ces ?tats, cr?e une circulation (9) incessante qui traduit l?’?mergence d?’un ?v?nement : de l?’exposition de l?’enfant (10) on passe ? une cadence acc?l?r?e de son transport. Pour reprendre l?’expression imag?e de H. Joubert-Laurencin qui compare les deux hommes ? des " vecteur(s) " ou encore ? des " exceptionnels conducteurs de destin " (11), il s?’agit ici de retenir ce qui dans la course d?crit un lien physique r?p?t? avec l?’enfant.

On peut dire qu?’? partir de la d?couverte de l?’enfant par le berger, et compte tenu de la mani?re dont il le prend et l?’emm?ne, l?’adoption du petit, avant m?me que cela ne devienne certain avec l?’enthousiasme de Polybe, est signifi?e par la prise ? pleines mains de l?’enfant. D?’ailleurs, quand l?’enfant passe dans les bras de Polybe, ce dernier r?p?te et intensifie ce contact dans une affection extasi?e et un peu brusque. Ce deuxi?me ?change s?’?tablit cette fois dans des termes totalement physiques.

Or c?’est avant tout la pr?sence du petit ?tre qui d?termine la nature de cette sensation: ?tant en bas-?ge, ?Œdipe n?’est pas une entit? physique autonome. Le nouveau-n? n?’a pas une place de personnage dans l?’image ; ses d?placements dans l?’espace sont d?s ? un transport, il est donc r?duit ? l?’usage (en mati?re de mouvement) qu?’on en fait. Mais de m?me que l?’enfant n?’est pas au centre de l?’int?r?t, le serviteur, le berger et Polybe demeurent des personnages secondaires que la responsabilit? du nouveau-n? a anim?s. Toute l?’attention dans cette s?quence est port?e sur la cha?ne des brefs contacts avec le petit corps d?’?Œdipe.

Revenons au moment pr?cis o? l?’enfant est pris dans les bras. Chez le serviteur, l?’absence de tout contact est justifi?e par son r?le pr?suppos? d?’assassin: ce qui ne veut pas dire que ce tableau de l?’enfant nu, bringuebalant au bout de sa lance, soit d?pourvu de langage physique bas? a contrario sur l?’?cart, rigoureusement signifi? par ce transport si ?labor?. L?’enfant n?’est v?ritablement sauv? qu?’au moment o? le berger le prend dans ses bras, c?’est-?-dire lorsque sa protection est clairement, gestuellement repr?sent?e.

Les deux personnages interm?diaires n?’ont donc pas le m?me lien avec l?’enfant et l?’essentiel de leur communication s?’?tablit sur un ?change indirect. Sans cela, bien qu?’ils constituent l?’unique entourage humain de l?’enfant, les personnages seraient compl?tement anonymes et anodins. Malgr? tout, cette pr?sence enfantine - qui n?cessite une concr?te prise en charge - cr?e la part physique de ce court passage muet (12) du film.

La course, n?anmoins, n?’est point encore finie: Polybe s?’?lance ? son tour pour le porter ? la reine M?rope, au milieu d?’un terrain vague, entour?e de sa cour de servantes. Dans les bras experts d?’une femme, l?’enfant cesse d?’?tre agit? dans tous les sens. La course avec l?’enfant avait donc un aboutissement, un point de chute : le corps de l?’enfant est enfin associ? ? la calme et mys?rieuse figure maternelle d?j? longuement d?finie dans le prologue (le plan fixe et frontal sur la m?re qui allaite). Ce n?’est qu?’? la fin, quand le petit ?Œdipe retrouve son ?quilibre, que la s?quence trouve enfin son v?ritable protagoniste : la m?re.

Medea, scena dal film. Il piccolo Giasone è in groppa al centauroDans M?d?e, on retrouve l?’effet de demi-pr?sence du protagoniste enfant au d?but du film, lors de l?’enseignement du Centaure Chiron au petit Jason. Toutefois ici ce n?’est pas l?’action (l?’agitation, le mouvement) qui est d?terminante - tout au plus la s?quence est rythm?e par le monologue vari? de Chiron et quelques changements de d?cor (on reste dans le m?me environnement : la maison lacustre et ses alentours) ?– : la " vitalit? narrative " se trouve ailleurs.

Le film s?’ouvre sur le petit Jason, nu et souriant, assis par terre dans un rayon de soleil ? l?’int?rieur de la cabane. Le Centaure entame son discours sur un ton l?ger et confidentiel (13). Ensuite, dans la sc?ne en ext?rieur-jour du monologue, on retrouve Jason, sur un fond de nature sauvage et myst?rieuse, toujours nu, ? califourchon sur la croupe du Centaure. Ces deux premi?res parties de la s?quence opposent un Jason muet ? une cr?ature double au discours pourtant tr?s familier (on s?’attendrait effectivement ? voir r?pondre l?’enfant).

Dans la cabanne, l?’enfant, en se laissant tomber en arri?re les yeux ferm?s, ne manifeste pas - comme on pourrait le croire - une distraction (14), mais semble plut?t ?tre captur? par le r?cit du Centaure comme s?’il s?’agissait d?’un conte. N?anmoins ici Pasolini a ostensiblement pris le risque de montrer qu?’il aurait ?t? tent? d?’exploiter le regard de l?’enfant plut?t que d?’illustrer, sans ambigu?t?, le mythe (15).

Mais la position de l?’enfant, gr?ce aux r?f?rences iconographiques auxquelles elle renvoie, rappelle que le mythe est parfaitement inh?rent ? l?’image: " L?’enfant couch? sur le dos ?voque un enfant mort, et sa t?te blonde ensoleill?e, via le mythe ancien de la toison d?’or et de la fuite de Phrixos et Hell?, anticipe l?’image des deux fils morts de M?d?e, ainsi que la disparition de celle-ci sous le signe du feu dans le char du soleil. " (16) Autrement dit, m?me si elle est fragile, la place du mythe ne doit pas ?tre revendiqu?e.

Le mutisme du petit Jason cr?e une petite anomalie dans le cours de la narration, signe que la situation par son ?tranget? permet de faire r?affleurer (si ? un moment elle e?t ?t? compromise) la part mythique de la sc?ne. C?’est cette anomalie (17), et non pas le r?cit du Centaure ni les formes merveilleuses de ce dernier, qui redonne ? la sc?ne son appartenance mythique.

Cela vaut d?’autant plus pour l?’?pisode suivant de la lagune o? Chiron et Jason sont enfin r?unis dans le cadre : c?’est le premier cas dans M?d?e de ce que Pasolini nommait " la fisicit? onirica " (18), c?’est-?-dire une situation dans laquelle les corps sont valoris?s mais dont le sacr? et l?’archa?que laissent une impression d?’inactualit?. Le Centaure se retourne sans cesse en arri?re pour regarder Jason. Par le contact (des tapes sur la jambe, il lui pince le menton) et ses autres gestes, le Centaure a une proximit? encore plus humaine (19) avec Jason? ; ce qui, sans le mutisme toujours persistant de l?’enfant, aurait risqu? de r?duire la projection dans le mythe (en supposant que le mythe dans le langage pasolinien tient aussi de sa volont? ? maintenir un certain myst?re dans les situations).

Au lieu de faire en sorte que tout soit per?u du point de vue de l?’enfant, Pasolini se contente de d?crire de l?’ext?rieur le rapport entre le Centaure et l?’enfant : la relation entre un monstre et un enfant n?’est pas du domaine du merveilleux ou de l?’imaginaire et si bizarre que puisse para?tre la sc?ne, Pasolini ne sugg?re rien d?’autre que la po?sie pour la contempler. De toutes mani?res la vision aura vite fait de cesser : Jason grandit et Chiron devient tout ? coup un homme.

Mais cette s?quence, dans son d?coupage par ?tapes ou par tranches de vie, doit synth?tiser le futur personnage Jason par une enfance exceptionnelle : " [? ] avant de devenir un aventurier pragmatique, Jason a connu une enfance ? la fois exemplaire de toutes les enfances et des ?volutions de l?’humanit? : dans ses premiers temps empreinte de surnaturel, elle devient rationnelle jusqu?’? ce que [? ] toute notion du sacr? semble avoir disparu chez lui. " (20)

Jason, comme ?Œdipe, est sous tutelle d?’un tiers qui n?’est pas son p?re, pour une p?riode d?termin?e, et le discours du Centaure le confirme. Le th?me de l?’enfant trouv? culmine avec cette s?quence du film : l?’isolement des deux ?tres saute aux yeux, ils sont coup?s du monde, ce monde dont Jason fait l?’apprentissage par le discours du Centaure (21). Le Centaure est, de plus, ? moiti? cheval et il y a dans cette s?quence une forte note de primitivisme, en dehors du d?cor lacustre, qui affleure surtout parce que l?’enfant est sur la croupe du Centaure. L?’enfant, en effet, est assis sur un animal mais ?coute un homme, d?’o? toute l?’ambigu?t? de la sc?ne : la cr?ature double instaure une fisicit?, une dimension physique plus exacerb?e.

L?’enfant nu sur la partie animale du Centaure surgit comme pour signifier que la proximit? corporelle est l?’unique communication imaginable entre un enfant - comme le dit H. Joubert-Laurencin, de toutes fa?ons " [? ] trop jeune pour comprendre le d?tail tr?s complexe du mythe qu?’on lui explique [? ] " (22) - et le corps ?questre, corps tout court, c?’est-?-dire sans sa t?te mais fini, ou plut?t prolong? (comme une excroissance) en une autre esp?ce. De cette fa?on, Pasolini d?crit, sans plus d?’?loquence, le rapport ?troit de l?’enfance de Jason avec un monde primitif.

Par ailleurs il faut noter que dans ?Œdipe roi l?’enfant reste en bas-?ge (23) alors que dans M?d?e la croissance de Jason est d?terminante (24). On voit Jason ? trois ?ges diff?rents o? il acquiert une autonomie de mouvements (adolescent, on le voit p?cher) mais il n?’en reste pas moins muet jusqu?’au bout. Cette croissance sert ? marquer le passage des ann?es en m?me temps qu?’une continuit? narrative que la transformation seule du Centaure en homme - bien qu?’?tonnante elle reste discr?te - ne suffit pas ? r?v?ler. D?’ailleurs m?me si, dans cette s?quence, Jason devient grand et acquiert son stature d?finitive, il reste en arri?re-plan exactement comme lorsqu?’il ?tait petit. Il n?’est pas encore un personnage signifiant. Ce que refl?te cette croissance est un rythme progressif, elle est au service de la narration.

Il est clair enfin que dans ces premi?res parties d?’?Œdipe roi et M?d?e l?’enfant-protagoniste demande une mise en sc?ne complexe. Il faut souligner que le cas de ces s?quences sur l?’enfance demeure tr?s particulier, ce pourquoi on ait tenu ? les s?parer des autres sc?nes o? figurent d?’autres enfants. De plus toute cette application ? bien sp?cifier par les situations (? d?faut d?’avoir vainement insist? sur la trop faible pr?sence du corps de l?’enfant) le caract?re d?finitif qu?’aura le protagoniste (ou son destin) une fois adulte n?’aidera qu?’? mieux percevoir sa pr?sence par la suite. Tout porte ? croire que la technique d?velopp?e par Pasolini pour ces s?quences a ?t? n?cessaire pour le fa?onnement du personnage principal et pour veiller, ? juste mesure, ? la d?finition de sa pr?sence corporelle. C?’est pourquoi, dor?navant, on s?’en tiendra ? la d?finition de Riccardo Pineri dans le volume Pasolini et l?’Antiquit?, qui d?nonce, en passant, chez Pasolini la tendance ? une " synth?se charnelle du monde": "La pr?sence n?’est pas une donn?e objective mais une promesse d?’?tre au m?me titre que l?’homme est situ? dans le corps sans toutefois se r?duire ? celui-ci." (25)
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, Pier Paolo Pasolini: il linguaggio dei corpi
, Le cin?ma antique de Pasolini et Fellini: ?Œdipe roi, M?d?e et Satyricon
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