Si Fellini et Pasolini ont déjà travaillé ensemble juste avant le tournage dAccattone (1960), ce fut une collaboration plutôt courte où Pasolini mettait au service de Fellini sa perception des borgate romaines et de leur langage. Dautre part, la maison de production "La Federiz" eut une vie courte, juste après que Pasolini ait montré à Fellini quelques rushs du projet dAccattone qui navaient pas enthousiasmé Fellini.
Ce qui relie entre eux dipe roi, le Satyricon et Médée (dans lordre chronologique de leur sortie, respectivement 1967, 1969, 1970) est a priori cette saveur antique, mais leurs réalisateurs ne se sont pas consultés pour discuter de leur travail. Concernant ces trois films, on ne connaît pas de documents ou dinterventions où lun ou lautre se feraient mutuellement référence.
Federico Fellini (1920-1993) est déjà un réalisateur de renom lorsque Pier Paolo Pasolini (1922-1975) débute dans le cinéma. Avec le Satyricon, Fellini veut faire un film sur lAntiquité romaine et dans un premier temps se documente pour tâcher den restituer les gestes, voire même la diction doù la collaboration avec le latiniste Luca Canali à lécriture.
Mais loin de lui lidée de faire un film historique : le Satyricon garde la même tendance à laccumulation onirique de faits, de personnages et de détails, que dans les autres films, dailleurs le célèbre style baroque fellinien devient sans doute plus excessif encore et donnera lieu à Casanova et à La città delle donne.
Pasolini tire dipe roi et Médée de la tragédie grecque classique; luvre de Sophocle lui sert de pilier pour son autobiographie, alors que celle dEuripide lui permet daffiner sa recherche sur les sociétés primitives. Pasolini se passione en même temps pour lanthropologie et lethnographie en général. Cest un parcours idéologique et intellectuel qui le fascine également dans son Vangelo secondo Matteo et dans Porcile, et qui approfondit sa conception de la réalité.
Rien apparemment napparente les deux artistes, et le travail de Danilo Donati qui a été décorateur et costumiste sur dipe et le Satyricon, témoigne de leur grande diversité. Le fruit de notre recherche sera toutefois de rompre lenclos des règnes cinématographiques de ces deux maîtres du cinéma italien sans gêner limmunité créative qui les sépare sur le plan artistique. Il ne sagit pas en effet détablir un discernement ou une contestation systématique de leur identité, de leur cachet artistique dans certaines des représentations, mais darriver à une confrontation des scènes similaires ou non de ces films par thème.
Certes, le choix dopposer à deux films de Pasolini un seul film de Fellini comporte lidée de réserver au premier, et de manière évidente, une attention privilégiée. Car cest à partir dune constante pasolinienne que sédifie le tissage du Satyricon avec dipe roi et Médée: le façonnement dun langage corporel presque obsessionnel.
Alors que Pasolini a déjà un regard très engagé dans le langage sexuel (avant même de faire les films qui lont définitivement placé dans cette optique, la Trilogie de la vie et Salò), Fellini avec le Satyricon ne laisse pas de constater un embranchement évident dans le monde pasolinien, en faisant des corps un élément visuel important.
Faudrait-il, par conséquent en conclure que la marque pasolinienne (après tout si caractéristique) atteint son apogée avec lexpression mythologique dans le cinéma et que la ressemblance soudaine du Satyricon révèle que le langage corporel épuise littéralement le champ de la représentation de lantique? Il serait de toutes manières trop simpliste de vouloir en chercher les raisons, et sans doute cela ne suffit-il pas à rapprocher les deux réalisateurs.
dipe roi est en quelque sorte le film qui relie Médée au Satyricon, et vice versa, car le caractère autobiographique qui lanime contraint le spectateur à relier lépoque moderne à lAntiquité et on retrouve ce dialogue entre présent et passé dune manière plus implicite dans les deux autres films.
Dans une première partie, il sagira de soupeser la valeur des corps dans laction et de voir dans quelle mesure leur apport toujours esthétique constitue-t-il lessence dune situation. Il faudra partir du protagoniste et de son importance dans le récit pour estimer la valeur de ses rapports avec dautres personnages. La deuxième partie évaluera les degrés de volupté des scènes les plus intimes, et cest là principalement que se différenciera le style de Fellini et Pasolini. Enfin, dans la troisième partie on verra comment dans chaque film la représentation de la mort confirme la création dun langage vivant qui favorise la projection dans le mythe et dans lAntiquité, cest-à-dire le temps de la fiction.